urgence(s)
Ca ne va pas très fort. Je décide de me faire une soirée douche ,thé, niaiserie à la télé. L'homme, qui m'a dit tout à l'heure qu'il ne trouvait pas les mots pour m'aider ce soir (ça tombe mal), qu'il n'avait pas mangé (je m'en fous), et au nez de qui j'ai raccroché ,me rappelle pour me dire que si je veux, je peux peut-être venir chez lui: je fonds...argh, on sonne à la porte.
E., la voisine, (celle aux chats pour ceux qui suivent), a besoin d'aide: l'autre voisine, celle de 85 ans, qui fait des allez-retours depuis des mois entre différents services d'hopital, de gérontologie, qui est maintenant depuis 1 mois seule chez elle avec son machin à oxygène très bruyant et son lit médicalisé, est tombée du lit: je plante l'homme qui fulmine que si je ne vais pas bien, il faut que j'arrête de jouer les infirmières avec tout le quartier, je monte.Je m'explose les vertèbres en répétant bêtement "ça va aller", ouf, ça y est:bisou, couverture, verre d'eau,le bip autour du cou, bonne nuit.
Je rappelle l'homme ,pas de commentaire, de toute façon, il n'a pas le temps, je tempête que c'est une honte de laisser cette personne qui va peut-être mourir, là, comme ça, sans assistance.
Douche, je m'apprête à me vautrer dans mon canapé: non.J'entends crier au dessus.Re-escalier, cette fois, c'est moi qui sonne chez E.(elle a la clef).La pauvre dame ne veut pas rester dans son lit, c'est un lit d'hopital, elle a peur de mourir.On va chercher le déambulateur, les coussins, la couverture, direction le fauteuil: re-bisou-verre d'eau, je redescends.finalement, il n'y a même pas de niaiserie à la tv, allez, une petite partie d'acroscore sur le pc:et non, ça sonne.E., bien sur.La voisine est tombée du fauteuil.
E. a 65 ans, moi, je ne suis pas trop vaillante, impossible de remonter la dame.C'est trop: je laisse E. s'époumonner dans l'escalier, que ça ne sert à rien, que les pompiers ne veulent plus se déplacer, que la dernière fois, c'est une ambulance privée qui est venue, que le toubib a jugé inutile de l'embarquer, que donc, elle devait 100€ pour le déplacement (authentique), je décroche le téléphone.le 18. Oui, bonsoir, j'ai une voisine qui, etc, etc, et (là je monte le ton d'un cran), elle a 85 ans, elle ne va pas passr la nuit le cul par terre, il faut que quelqu'un vienne, merde. Euh oui, ne quittez pas, je vous passe le samu.5 mns de mozart en boucle, je recommence, ,un tantinet plus fort: oui, mais vous êtes sure qu'elle veut être hospitalisée, parce que, sinon, on va facturer le déplacement....?Je respire, pas la peine de réveiller le fiston qui dort comme un bienheureux, je me lance: on s'en fout de votre facture, elle a 85 balais, elle est sous assistance respiratoire, si elle meurt dans la nuit, vous le lirez, vous l'article du journa l local "drame de la solitude" ou vous passerez directement au programme TV...?Bref silence, vous connaissez son prénom, oui, son âge, oui, on vous envoie une ambulance dans 20 mns.Ah.
Un quart d'heure assise par terre à tenir la main de la voisine qui répète que je suis gentille, à écouter E. qui répète, oh ben ça va être comme d'habitude, ils vont la laisser, je ferme les yeux, j'essaie de ne pas penser aux grands bras de l'homme, j'ai envie de pleurer. "Ils" arrivent: un gars, une fille bien baraqués, tout gentils.Si je comprends bien , le pouls n'est pas terrible, la tension monte et descend, mais la dame répond encore aux questions, ça rassure (moi en tout cas).Plusieurs coups de fil, bon, départ pour l'hopital.La fille se tourne vers moi: vous pouvez nous rendre un service: ben oui, voilà, vous pouvez porter la bouteille d'oxygène...?C'est lourd, ce truc, vous faites comment si il n' y a personne?Soupirs, le gars me fait un sourire désabusé, on la met dans les bras du patient.Super.Je suis jusqu'à l'ambulance, j'ai une peur bleue de lacher l'engin, ou de marcher sur le tuyau, mais c'est quoi ce monde?
C'est pas fini: ils descendent le brancard de l'ambulance pour y installer la dame, la fille me regarde: on va vous demander un autre service....vous vous mettez en bas et vous bloquez, le frein est mort!C'est fini, la voisine n'est pas partie en slalom, on m' a remerciée, moi j'avais presque envie de leur proposer de revenir boire un café, de crier que, non, tout n'est pas foutu, je me suis contentée de passer la main dans les cheveux de la dame, de lui dire de se laisser faire, "ça va aller".
Si seulement je pouvais en être sure.