El Djazaïr
J'y suis née, mes parents aussi, de même que mes grand-parents (sauf bien sûr Albert le landais), et pas mal d'autres. Ils étaient originaires d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne, du Nord de la France. L'âge aidant, cela fait maintenant plusieurs années que je traque les actes d'état civil, les forums de généalogie, que j'interroge la famille, bref que je cherche pourquoi et comment tous ces gens se sont retrouvés "colons" là-bas. Des petites gens, sur les actes, on peut lire cultivateur, blanchisseuse, menuisier, maçon, même domestique. Du côté de ma grand mère paternelle, celle qui se présentait elle-même comme institutrice laïque et républicaine, j'ai trouvé des communards. Qui, après la répression qui a suivi la Commune, étaient indésirables.
Difficile de déporter des familles entières, en Nouvelle Calédonie, il y avait déjà Louise Michel et ses copains, fallait trouver autre chose. Alors, on amenait ces gens à Paris. Sur les quais, on avait pris soin de mettre en place une fanfare, quelques huiles, et même Monseigneur l'Archevêque. Qui bénissait les péniches où on entassait ces futurs colons. Les péniches rejoignaient Marseille où de grands bateaux amenaient tout ce monde en Algérie. Le voyage était pénible, très pénible. Arrivés à Alger, là plus de fanfare ni d'archevêque, direction les "concessions". Chacun se voyait attribuer un lopin de terre (et de cailloux, plein de cailloux), une pioche, quelques sacs de chaux. Fallait survivre, alors certains se mettaient au service des "grandes familles" (les spéculateurs déjà....), des mères de famille se prostituaient à l'occasion pour nourrir leurs petits (dans les actes, pas mal "de père inconnu"...).
Ma famille donc ne colonisait pas grand chose. Vivait comme beaucoup d'autres pieds noirs, en bonne intelligence avec les communautés qui les entouraient. Mon père était diplômé d'arabe littéraire, ma grand mère maternelle connaissait tous les secrets de beauté de ses copines juives, savait cuisiner couscous, makrouds, mais n'aurait jamais manqué la messe du dimanche. Une image, dans le flou qui entoure les souvenirs d'enfance: c'est un matin d'août 1962, mon père a trouvé des places sur un bateau (quelques jours avant, il a échappé de peu à la mort, ça mitraille un peu trop autour de la maison construite par Albert le landais). Dans le couloir, je suis collée aux jupons de ma grand mère, et il y a cet homme, vieux, turban sur la tête, qui pleure sur son épaule, pourquoi tu pars, tu es chez toi ici, ma grand mère pleure aussi, d'ailleurs tout le monde est en larmes. Moi, j'ai presque 7 ans, je ne pleure pas, je vis tout ça comme une aventure du journal de Mickey.
Il y a eu l'arrivée en métropole, les regards hostiles, les insultes. On traverse le bordelais, ma grand mère contemple les domaines viticoles, les ouvriers dans les vignes, les châteaux, et c'est nous qu'on traite de colons...
L'autre jour, j'ai rencontré une ancienne connaissance, originaire d'Oran, qui crie bien fort qu'elle est "arabe", qui a adhéré il y a peu à ce fringant parti dit "anticapitaliste". Dans la discussion, je glisse que moi aussi, je suis née "là-bas", oui mes parents étaient français. M'a toisée d'un air méprisant alors tu ne peux pas comprendre tu es du côté des colonisateurs...! J'aurais du répondre calmement que "nous sommes tous victimes du capitalisme", je ne suis pas toujours calme, c'est sorti tout seul et je t'emm.... Elle a tourné les talons, a du raconter à ses camarades que je suis une infâme contre-révolutionnaire. M'en fous, je l'emm.... pour de bon.
Pas étonnant que j'ai un caractère de cochon et que je ne puisse pas avancer dans la vie sans me battre....
En 1927 là-bas, Albert le landais, Félicie, et ma mère